Époque surprenante que la nôtre, une période inespérée pour qui chevauche le monde de la transformation. Certitudes bousculées, mouvement incessant, vitesse accélérée, mélange vrai faux, tous les ingrédients sont là pour nous amener à vivre pleinement notre être profond, la conscience unifiée.
C’est le temps de la grande réinitialisation, nous dit-on, changer pour le nouveau monde, règne du zoom et des mesures sanitaires. Le système nous amène à croire que nous devons nous défendre, que notre vitalité est trop faible pour nous permettre de faire face à nos ennemis, notre moi se fragilise et nous apprenons à nous distancier non seulement physiquement, ce qui est bien exigeant mais aussi socialement ce qui nous éloigne un peu plus les uns des autres…toutes sortes d’informations nous envahissent, la confusion règne pour ceux qui veulent comprendre l’ensemble de la situation.
Alors regardons notre tapis de yoga et commençons à tourner autour, que peut-il donc nous transmettre à l’heure de l’égarement. C’est un défi tout incroyable passer dans un petit trou, se délester de lourdeur, lever les voiles de la colère, de la peur, de la tristesse pour entrer dans le cœur, le lieu du passage de notre métamorphose. Car le yoga est un chemin de clarté….
Voyant la société qui se rigidifie, le risque du trans humanisme où le contact avec le transcendant n’a plus sa place, une mondialisation qui ignore la beauté de nos différences et dirige pour mieux contrôler, il est possible de s’asseoir et d’écouter d’autres niveaux de présence. Nous touchons notre capacité à nous dégager des limites, nos croyances absorbées sous influence, sans accord de la conscience éveillée. Entrer en résonance avec autre chose que les conditionnements de notre époque, ce qui suppose de discerner par-delà le filtre du mental encombré.
N’adresse pas de cris à Dieu c’est en toi qu’est la Source n’en bouche pas l’issue et elle coulera pour toujours.
-Angelus Silesius
Le chas de l’aiguille est donc la capacité de centrer notre attention, tel un fil qui va traverser le petit trou. Cela nous demande à la fois une concentration fixe, et au même instant une douce souplesse pour passer d’un bord à l’autre du chas , la conjonction précise de l’abandon sans tension et la détermination sans hésitation. Alors le fil peut jouer avec la matière, guidé par l’aiguille il devient un agent de création.
L’attention se module selon deux tempo, convergence et divergence, l’une et l’autre vont nous permettre d’atteindre la réalisation de nos pensées. Indéniablement l’attention œuvre comme la clé de voûte de la conscience, sans elle l’esprit se perd, s’assoupit, se laisse emporter par le moindre souffle de vent. Convergence, image de la flèche qui file vers le cœur de la cible tension parfaite de l’arc et regard précis de l’archer. Divergence, image d’une marche en montagne, voir grand, de plus en plus, évoluer vers la hauteur pour englober le paysage dans son ensemble en route vers le sommet. Associer les deux, voilà un joli secret.
L’attention convergente se centre sur la matière, elle se réalise avec nos sens, plus le défi est intense plus cette attention se restreint, d’autant plus si nous sommes en situation de stress ou en mode survie. Elle est en demande dans le quotidien, dans le monde du travail, dans l’application des protocoles, la relation aux machines, le respect des règlements des normes. Dans la durée ce type de processus installe une forme de déséquilibre puisque seules quelques zones de notre cerveau sont hyper stimulées tandis que d’autres parties sont neutralisées. En abus ce type d’attention conduit à des incohérences car la réalité unique traduit l’enfermement et nous éloigne de notre vraie nature. L’incohérence signifie que nos aires cérébrales ne fonctionnent plus en synergie mais en hyper vigilance sans ouverture à autre chose que ce vers quoi l’attention se fixe oserons nous dire désespérément. Pour sortir de cette spirale infernale nous devons mettre en lumière l’attention divergente, c’est très certainement un des rôles du yoga, une responsabilité toute actuelle.
L’attention peut aussi s’ouvrir, par-delà la matière, le ressenti, le feeling, la sensation de l’espace, la relation avec le corps d’énergie, tout comme ne plus focuser sur la particule mais plutôt sur l’onde qui induit le mouvement. Intéressant déplacement de l’attention, elle n’est plus tenue de s’accrocher sur un point et lutter pour maintenir les paramètres malgré les inévitables renversements de situation. Cette attention divergente inclut le mouvement, le mouvement qui est la vie. Elle l’inclut sans s’identifier à lui mais en se plaçant au centre de l’agitation pour une vision panoramique voir infinie. Posture du poète, il garde la légèreté et la beauté malgré les ornières, ou encore du cavalier en communion avec son animal, le chemin, les obstacles pour avancer sans faillir.
Sur mon tapis je joue avec mes mains, je les étire, je les déploie, elles deviennent chaudes, changent de couleur et captent un mouvement invisible, une danse, elles connaissent la subtilité de l’énergie qui les anime. J’apprends en élargissant mon champ de sensation tout en demeurant racinée en dedans.
Le processus d’évolution se tisse dans l’éveil de nos consciences, la posture juste pour vivre notre souffrance, et celle de notre humanité, la traverser sans se laisser assimiler, remettre en lumière le lieu à partir duquel je pose les gestes du quotidien. Cela aussi c’est le yoga, une attitude en quête de sens, une force vive d’où s’affirme le qui je suis, la capacité de créer notre destin. Cette source que nous partageons nous appelle, un message individuel pour se reconnaitre comme individu indivisible, un feu puissant pour se réaliser à partir du noyau divin. Reconnaissons notre complexité, la multitude des circuits en interaction, les divers niveaux qui nous composent, et rectifions-nous par le feu pour affuter la pointe de notre attention, telle une lame de cristal.
Si par un bain quotidien Dieu pouvait être réalisé, Je me ferais aussitôt baleine dans l’océan; Si manger racines et fruits pouvait Le faire connaitre, Avec joie je choisirais la forme d’une chèvre; Si égrener des rosaires L’incitait à se révéler, Je réciterais mes prières sur des chapelets géants ; Si l’adoration d’images de pierre pouvait Le dévoiler, Je vénèrerais humblement une montagne silencieuse; Si en buvant du lait le Seigneur pouvait être absorbé, Les petits veaux et les enfants seraient conscients de Lui; Si abandonner sa femme pouvait faire venir Dieu, N’y aurait-il pas des milliers d’eunuques ? Mais Mirabai sait que pour trouver le Divin Seul l’Amour est indispensable. -Mirabai
La tradition nous enseigne la paix et la force de la joie, le secret de notre vraie nature, elle nous sort des sentiers battus, par elle nous nous exerçons à laisser agir, accepter l’inévitable changement, révéler la cause de nos pensées venimeuses, et nous préparer à vivre une révolution intérieure.
Une voie totalement actuelle, enrichie par la confiance, elle nous impose de saisir intérieur et extérieur comme une seule réalité. Les maitres sont nombreux sur le chemin, à toi, à moi, à nous de les honorer, leur parler et nous relier. C’est le passage dans le chas de l’aiguille du moi vers le Soi, le pouvoir d’accomplir l’inaccompli. Le silence, la prière, le chant, le souffle, la marche, la danse, ,,,,,, les arts, tous sont au rendez-vous de ce pas vers le sage. Je reviens sur mon tapis, je visualise le vide qui m’habite et le plein qui me nourrit, je ferme les portes du brouhaha, je goûte la fraicheur qui me caresse et j’absorbe à cet instant la vision de mon être transmuté.
Rappelez-vous que vous n’appartenez à personne et que personne ne vous appartient. Pensez qu’un jour vous devrez soudain tout quitter en ce monde –alors, faites la connaissance de Dieu dès maintenant disait le grand guru à ses disciples. Préparez-vous au futur voyage astral de la mort en vous élevant chaque jour vers la sphère de la perception divine. A cause de l’illusion créée par maya, vous vous identifier à une masse de chair et d’os qui, au mieux n’est qu’un nid de désagréments. Méditez sans relâche pour que vous puissiez rapidement vous contempler comme l’Essence infinie et vous libérer de toute misère humaine. Cessez d’être prisonnier de votre corps ; en utilisant la clé secrète du yoga, apprenez à vous réfugier dans l’Esprit. Lahiri Mahasaya
Cette bonne nouvelle nous convie à descendre la lumière dans l’espace d’ouverture que nous incarnons par toutes les cellules de notre être. Nous actons nos vraies valeurs d’amour et de compassion en choisissant de transcender nos peurs et de nous reconnaitre, naissance qui nous donne la force d’échapper au faux et vibrer le vivant. Une pratique que je partage avec chacun, chacune, et ainsi puissions-nous nous recentrer pour l’essentiel. Je souhaite protéger notre envie de grandir ensemble, et notre désir d’accueillir la lumière du futur.
Au-delà des idées de bien faire ou mal faire il existe un lieu où nous nous retrouverons.
Rumi